Le télétravail : un contretemps de Covid ou l’avenir ?
octobre 21, 2022 2:13 pmLe Covid a entraîné de nombreuses difficultés et a changé la façon dont nous menons la vie. Qu’il s’agisse d’une prise de conscience accrue de l’importance de l’hygiène ou d’une plus grande importance accordée à la valeur de l’interaction humaine, de nombreux éléments de la vie quotidienne, auparavant considérés comme acquis, ont dû être réévalués et révisés. En ce qui concerne le monde de travail, le confinement a bouleversé le quotidien des travailleurs et les a projeté dans l’ère du travail à distance. Cependant, même si la pandémie a imposé ce phénomène, de nombreuses sociétés et entreprises ont adopté ce nouveau mode de travail et, à mesure que le monde sortait du confinement, elles ont choisi de quitter leurs immeubles de bureaux, certaines définitivement. Il existe indéniablement des arguments de part et d’autre quant à l’efficacité de l’ère du télétravail, mais est-elle l’avenir ?
Les travailleurs sont ravis de la flexibilité qu’apporte le travail en ligne. Le train de banlieue bondé, le métro plein à craquer, le slalom dans la rue surchargée, cette époque est révolue. Le trajet coronarien qui consiste à se lever du lit pour se rendre à son bureau, en passant peut-être par le réfrigérateur en chemin, a été un soulagement pour beaucoup, en particulier pour ceux qui faisaient un long trajet. Les pauses déjeuner sont l’occasion de s’occuper du jardin ou d’exhiber les animaux domestiques sur Zoom, et les heures gagnées par l’absence de trajet peuvent être utilisées pour un repos bien nécessaire. En effet, l’élimination des trajets domicile-travail s’avère plus bénéfique qu’on ne l’aurait jamais imaginé ; les salariés n’ont pas à payer les voyages et les employeurs économisent sur le loyer des bureaux. La nécessité de déménager a également disparu – l’endroit où vous vivez n’a plus d’importance, tant que vous avez accès à internet. Les employeurs disposent ainsi d’un bassin de talents plus important et les travailleurs peuvent accéder à des opportunités partout dans le monde, quel que soit l’endroit où ils se trouvent. Les employeurs suggèrent même que les niveaux de productivité augmentent avec le bureau en ligne. Alors, avec autant de points positifs, pourquoi toutes les entreprises n’ont-elles pas opté pour le télétravail ? Sur le papier, le travail à distance semble être le rêve des salariés itinérants ; les économies d’argent, la flexibilité de travailler de n’importe où, le temps gagné à utiliser pour d’autres intérêts… Que pourrait-on faire de mieux ?
Lorsque l’on considère ces atouts à l’étude, il est facile de ne pas se rendre compte des inconvénients du travail à domicile : un éventuel Wi-Fi médiocre entraîne des coûts supplémentaires pour obtenir une connexion rapide, on oublie et perd les compétences interpersonnelles, la collaboration est plus difficile à mettre en place. Cependant, il existe aussi des freins, notamment en ce qui concerne l’une des caractéristiques humaines fondamentales : le besoin d’interaction sociale. Si l’on tient compte de cet aspect, la perspective du télétravail en rose devient plus grise. Même si des moments de solitude constituent un répit, que se passe-t-il quand ils durent une semaine, un mois, voire une année ?
Des recherches menées avant la pandémie par la Dr Lynn Holdsworth, psychologue du travail reconnue de l’université de Manchester, ont montré que le travail à distance à temps plein augmente la solitude de 67 %. Pendant la pandémie, alors qu’une partie beaucoup plus importante de la population travaillait en ligne, une enquête menée aux États-Unis et au Royaume-Uni a révélé que 67 % des travailleurs âgés de 18 à 34 ans trouvaient plus difficile d’entretenir des amitiés et des relations avec leurs collègues de travail, que 71 % s’inquiétaient de la distanciation des collègues et que 54 % faisaient porter le chapeau au télétravail des problèmes d’éloignement. 81 % ont déclaré qu’ils s’inquiétaient de la solitude. Il est évident que le travail en ligne est un facteur clé de l’épidémie de solitude, mais qu’est-ce que cela signifie réellement pour les sociétés et les entreprises ?
Il existe une corrélation directe entre la solitude et des taux plus élevés de dépression, ainsi que d’anxiété et de suicide. Les symptômes de la dépression comprennent, entre autres, une mauvaise concentration, un sommeil perturbé et la fatigue. Alors, bien qu’il soit possible de passer une heure de plus au lit, une main-d’œuvre mécontente sera-t-elle mieux reposée ? Et si le taux de concentration diminue avec la solitude, la productivité est-elle vraiment améliorée à long terme par le travail à distance ? Il est intéressant de noter qu’une enquête européenne a révélé que, bien que seuls 19 % des employeurs aient signalé une baisse d’activité, 65 % d’entre eux ne font pas confiance à leurs salariés pour télétravailler. Un taux de méfiance aussi élevé crée un cercle vicieux – un manque de confiance dans n’importe quelle relation crée un sentiment de malheur, qui accroît à son tour la solitude, et ainsi de suite.
Quoique l’on puisse arguer que, l’enquête Holdsworth ayant été menée auprès de jeunes travailleurs, ses résultats ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population active, si le travail à distance doit devenir une réalité à l’avenir, c’est cette génération qui en fera l’expérience. Si l’avenir de la main-d’œuvre trouve l’isolement si inquiétant, le travail à distance est-il viable pour l’avenir ?
En tenant compte de tous les avantages et inconvénients, une chose est sûre : dans un monde de travail à distance, les diplômés et les salariés de demain ne pourront pas bénéficier des programmes d’observation et de l’expérience professionnelle de la même manière, que ce soit pour des raisons logistiques, technologiques ou autres. On apprend tellement de choses en observant simplement un bureau en activité, des pratiques commerciales subtiles à l’étiquette, et sans ces expériences, il est plus difficile pour la jeune génération d’acquérir l’expérience qui a permis aux travailleurs actuels d’obtenir leur emploi. Surtout de nos jours, où la concurrence pour les emplois et les programmes pour jeunes diplômés est si élevée, il faut que ces jeunes fassent l’expérience du monde du travail pour être pris en considération par les recruteurs. Ainsi, si le travail à distance présente des avantages en termes de coût et de flexibilité, est-il vraiment viable pour l’avenir, lorsque la génération actuelle de travailleurs aura pris sa retraite ?
Le travail hybride propose une bonne solution à ce problème, au moins provisoire. Les salariés itinérants peuvent toujours économiser sur les déplacements et ont la possibilité de choisir le lieu et les horaires de travail. L’entreprise, bien qu’elle paie un loyer pour un espace de bureau, peut économiser de l’argent en réduisant la taille de bureau – si les salariés travaillent à distance à des jours différents, tout le monde ne sera pas au bureau au même moment. Les espaces de coworking, tels que WeWork, se présentent également comme un substitut approprié. Bien qu’il puisse être plus difficile pour les salariés éloignés de se rendre au bureau pour les journées de travail en personne, il est possible de faire des compromis, et en dépit du fait que cela entraîne des frais de déplacement ou d’hôtel, le coût global est réduit par rapport au travail en présentiel. En ce qui concerne la solitude, elle offre aux salariés la possibilité de collaborer et d’avoir du contact humain pendant les heures de travail. Depuis le retour au bureau, une étude britannique a révélé que 48 % des travailleurs ont constaté une amélioration de leur santé mentale, et beaucoup de ces circonstances étaient le fruit du travail hybride. Celui-ci permet de trouver un équilibre économique de temps et d’argent tout en donnant aux salariés un contact avec le monde en dehors de l’écran.
Maintenant que le monde se reconstruit après le confinement, il sera intéressant de voir si le travail à distance restera une chose de l’ère Covid-19, ou s’il affectera les générations à venir. Une enquête londonienne menée en 2021 a révélé que seulement 30 % des entreprises s’attendent à ce que leur personnel soit entièrement de retour sur site avant 2023, 41 % déclarant qu’elles auront adopté un format hybride. S’agit-il là du futur du travail ? Seul l’avenir le dira.